Le 16 mai 2011

Perspective nouveau Monde

Des tsunamis régénérateurs

Bruno-Marie Béchard, ingénieur, professeur et recteur

L'accès accru aux voyages et aux télécommunications amène un paradoxe étrange : les continents s'éloignent alors qu'ils se rapprochent! Parce que plus on découvre les autres, plus on prend conscience de nos différences...

Il y a cinq siècles, tous les yeux étaient rivés sur l'Inde que Christophe Colomb croyait avoir atteinte. Il y a d'ailleurs cru jusqu'à sa mort. Un demi-millénaire plus tard, tous les regards se tournent de nouveau vers l'Asie, où émergent deux géants : la Chine, le plus grand pays communiste du Monde, suivie de peu par l'Inde, la plus grande démocratie de la planète. Chacun de ces pays est caractérisé par une histoire et des valeurs foncièrement différentes et, surtout, très loin des nôtres.

Alors que plusieurs décrient l'impact de la montée de la Chine sur notre économie, qui entraîne la perte de nombreux emplois manufacturiers, il faut bien l'admettre : nous n'avons encore rien vu du choc fulgurant sur le Monde qu'aura ce milliard et demi de citoyens chinois. Un milliard et demi, c'est la population actuelle de tous les pays d'Europe et des Amériques réunis... En quelques années, l'essor de la Chine va donc doubler la population du Monde dit «développé». L'impact économique de cette vague chinoise sera donc bien des fois supérieur aux soubresauts précurseurs ressentis jusqu'à aujourd'hui. Mais ce qui retient encore plus mon attention, c'est le choc des cultures qui en résultera. Plusieurs d'entre nous voyageons pour le plaisir en Europe et dans les Amériques. Ces contacts avec d'autres peuples cousins nous enrichissent par leurs différences. Cependant, même un bref séjour en Chine nous fait réaliser à quel point tout y est tellement éloigné de nos références historiques, culturelles et religieuses. Même les valeurs et le sens de la vie y sont fondamentalement différents!

Et cela n'est que la première vague... L'Inde suivra, avec un décalage de cinq à dix ans et une population tout aussi imposante que celle de la Chine. Le Monde «développé» aura alors triplé! L'Occident n'en consti­tuera plus que le tiers! L'histoire et la culture profondément démocratiques de l'Inde amèneront par ailleurs un tout autre éventail de religions, de valeurs et de façons de penser.

Cet essor de l'Inde nous réserve d'importantes surprises. Alors que la Chine aborde le Monde avec un ­peuple nombreux, discipliné et travailleur, qui entre en concurrence avec les ouvriers de toute la planète, les autres pays se replient sur l'éducation et les fonctions à forte valeur ajoutée. Ils misent sur le savoir comme avantage concurrentiel. Mais l'Inde prépare patiemment sa montée en misant elle aussi sur l'édu­cation supérieure, exactement comme les pays occidentaux. Et à quel rythme! Par exemple, l'Inde forme chaque année autant d'ingénieurs qu'on en trouve actuellement au Québec… Cette deuxième vague, aussi imposante et très rapprochée de celle de la Chine, risque donc de nous heurter davantage parce qu'elle ­frappera de plein fouet les tranchées où nous nous serons campés.

Ces deux tsunamis de société consécutifs causeront bientôt des chocs de cultures d'une ampleur jamais vue. Et que dire du Brésil, plus près de nous? Avec une population pratiquement égale à celle des États-Unis, ce pays de langue et de culture portugaises se distingue à bien des égards du reste des Amériques. Presque tous les ingrédients sont maintenant réunis pour permettre un essor rapide du Brésil, qui peut survenir n'importe quand...

Quelles formidables occasions pour l'humanité de se remettre en question et d'en sortir grandie! Mais pour bien saisir ce potentiel de progrès, l'ouverture aux autres, aussi différents soient-ils, doit permettre la perméabilité des cultures. Et en cela, il y a beaucoup à faire, car les Occidentaux dont nous sommes ont ­encore tendance à se prendre pour le nombril du Monde. Le temps presse, puisque la vague est déjà déclenchée!

Quand la Nature est sur le point de rugir, les animaux le sentent. Ils s'agitent et agissent en conséquence. Il semble heureusement qu'il en soit de même chez certains humains : nos jeunes ressentent plus que jamais le besoin de découvrir d'autres cultures et se donnent les moyens d'y parvenir. Ils apprennent des langues, voyagent, veulent étudier et travailler à l'étranger. Les jeunes recherchent des expériences multiculturelles et s'y investissent. C'est peut-être leur instinct de survie en action...

Comment nous positionnerons-nous, comme société et comme université, dans cette vaste et intense mouvance? Serons-nous à la hauteur des nouvelles attentes des jeunes et de ces rendez-vous sans précédent avec l'histoire de l'humanité? Qu'adviendra-t-il de l'actuel Tiers-Monde dans tous ces bouleversements? Que faisons-nous, à chaque échelle, individuelle comme collective, pour nous y préparer... à temps?